Micro 23 / Micro 110

Publié le par bowizz

Les beats incisifs, quasi guerilleros, du Chef Raekwon finissent de poser leurs dernières mines dans les recoins de mes tympans et commencent à remonter mon cerveau réposé et boosté par le demi-litron de mate de coca ingurgité ce matin. Je m'acculture le temps d'un trajet en micro et, le gangsta rap aidant, entre tranquillement dans la machista mood ici nécessaire à une bonne communication intersexuelle. Nous venons de passer el segundo anillo et traçons désormais l'Avenida Busch et son terre-plein central, ses terrasses vides qui tout à l'heure se rempliront de darons alcooliques qui, en fonction de leur état d'ébriété, se mettront en quête d'un karaoké ou d'une prostituée. Nous approchons du Casco Viejo, la down town, et je sens que le petit Coaster baptisé qui nous trimballe va bientôt être le lieu d'une lutte au sens antique du terme, la petite porte ayant fonction de ligne de démarcation. Une place vient de se libérer à l'avant, j'ôte mes écouteurs, abandonne mes niggers new-yorkais pour retrouver le beat reggaeton qui sonorise la ville jour et nuit, m'assieds derrière le chauffeur et sa bouche déformée, transformée par la coca. A l'avant, c'est un véritable petit autel à l'effigie du dieu Toyota, le logo est partout et sous toute ses formes, brodé, auto-collé, entre deux photos de Jésus façon rock star, des petits tapis aux motifs indigènes et les caractères japonais collés sur le pare-brise. La ville entière de Santa-Cruz voue un culte à Toyota. Je commence à somnoler en imaginant Jésus traçant la route en Yaris dans le désert Nazaréen.


Je pense à ce petit écriteau croisé un autre jour dans un autre micro :

El micro tambien es el pueblo. No somos culpables de la realidad.


J'ouvre les yeux et le bus est bondé, ça rentre en permanence mais ça ne sort jamais, je me demande si il n'y a pas un chausse-trappe là dessous. En bon samaritain, Je laisse ma place à une vieille indigène ridée, chapeautée, aux cheveux tressés, j'ai envie de lui demander ce qu'elle pense de tout ça, de cette ville, de ce bus, de ma casquette, du dernier Jay-Z... Nous traversons el primer anillo, le dernier des cercles qui cerne la ville et plongeons dans la jungle de klaxons de la calle 21 de Mayo, ça y est, on est au coeur de cette ville fantôme, et la lutte a commencé. Une lutte brutale mais sensuelle, toute cette peau dévêtue, tous ces corps entassés qui tentent désespérément de respirer, quarante corps qui luttent les uns contre les autres et contre les soubresauts du micro. Des étudiantes aux traits cubains et au corps parfait, leurs bouquins de médecine sous le bras, des mennonites interchangeables, chapeau et salopette sorties du 19ième siècle, de jeunes cambas aux airs nippons qui googlisent avec leur cellulaire, des indigènes aux traits tracés par l'air de l'Altiplano, tout ce petit peuple se mangeant les cheveux dans une sorte de partouze soft et motorisée, et moi, avec ma tronche déjà presque blasée par ce petit manège, comme un parisien dans son métro. A peine je croise un regard charmé que c'est le moment de sortir, la calle Santa Barbara et son église aux vingt mendiants, ma voix porte « Pare por favor  » et je descends dans la rue devant le magazin de glaces Bits and cream qui ne désemplit jamais. Je file la calle Junin, ses fast-food et ses vendeurs hippies de colliers incas, jusqu'à l'unique place de Santa Cruz, la plaza 24 de septiembre, où se côtoient quotidiennement, devant l'imposante cathédrale, bancs, palmiers et foule de cruceños. Je ne me signe pas et trace au Centro franco alemán où je travaille, j'ai dix minutes de retard mais le simple fait d'y penser relève de l'automatisme européen. Me voilà près à puncher la jeune bourgeoise camba de lexique, de grammaire et de culture française, en bon Sangoku du FLE. J'ai prévu de forcer l'incompréhension en commençant par passer ce morceau de Philippe Katerine où il dit « Poulet de Vendée, je t'aime », c'est pour mon plaisir, je vais jubiler à affronter ces regards perdus, déstabilisés par l'absurdité poétique du propos. Et elles qui s'attendaient à apprendre la lengua de los enamorados. Je m'en vais modifier leur perception de la « chose française », à ces poulettes latinas. Je crois être, en partie, responsable de la réalité, moi.


Restez connectés, dans le prochain épisode, je parlerai de la mauvaise tournure que prennent certaines manifestations anti-Morales et de ce coup de machette que j'ai pris dans la jambe il y a cinq jours.



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C
<br /> J'adore te lire frèro ! C'est un vrai plaisir ! J'attends vivement le prochain épisode !<br /> <br /> <br />
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R
<br /> Yeh, excellent ! C'est avec joie que j'apprecie ta plume sans cesse renouvellee, et tes descriptions realistes.<br /> Ha, Philippe Katerine serait fier de savoir que son art peut etre une forme representative de la culture francaise, oui ! C'est en tout cas bien vu, je trouve...<br /> Tcho , et a bientot !<br /> <br /> <br />
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G
<br /> hola hermano, qué tal ?<br /> je commence a l instant a lire les derniers épisodes de ton aventure latinoamericaine ce qui me donne aussitot envie de te partager avec toi mon enthousiasme a te lire.<br /> bonne route.<br /> gaetan<br /> <br /> <br />
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